Hier, j’ai discuté avec les fondateurs d’une très belle start-up qui me demandaient mon avis sur la structuration de leur réseau de prescripteurs et d’apporteurs d’affaire. Comment créer des liens positifs avec ces acteurs externes ? Combien les rémunérer ? Pendant combien de temps ?
Ils m’ont fait réfléchir sur le concept même d’intermédiaire.
Qu’est-ce qu’un intermédiaire et qu’apporte-t-il à l’entreprise ?
Le concept juridique reste flou mais disons simplement que les intermédiaires mettent en contact une personne avec une autre ou plusieurs personnes entre elles. Afin de simplifier, je parlerai ici de producteur (de biens ou de services) et d’intermédiaire (prescripteur, apporteur d’affaire, agent commercial ou free-lance).
Si je devais proposer une typologie de metteur en marché, en partant de la posture la plus éloignée de l’entreprise vers la plus intégrée, voilà ce que cela donnerait :
- Le prescripteur gratuit : il recommande le produit gratuitement mais ne joue aucun rôle actif dans la transaction.
- Le prescripteur payant: il recommande le produit en échange d’une rémunération (cadeau, commission, service) mais ne joue pas de rôle actif dans la transaction.
- L’apporteur d’affaire : il met en relation, organise la première transaction, touche une commission souvent décroissante dans le temps puis disparaît.
- L’agent commercial : il met en relation, organise la première transaction et gère le courant d’affaire. Il touche une commission plus élevée que l’apporteur d’affaire, et qui dure le temps que dure la relation.
- Le vendeur indépendant ou free-lance.
- Le vendeur employé par l’entreprise.
Je n’insiste pas sur ce thème, il existe des experts sur ce sujet qui iront bien plus loin dans l’analyse. Revenons à ce qui m’intéresse ici : le lien entre le producteur et l’intermédiaire.
Pourquoi les entreprises entrent souvent en conflit avec leurs intermédiaires (ou l’inverse) ?
Invariablement dans les conflits entre les producteurs et les intermédiaires, la bombe J est lâchée: « c’est injuste » !
- le producteur accuse ; « Ce n’est pas parce qu’il m’a mis en relation avec ce client il y a 10 ans que je vais lui payer une commission ad vitam aeternam ! Aujourd’hui il ne créé plus de valeur, c’est nous qui faisons tout le boulot. C’est injuste ! »
- et l’intermédiaire de protester : « Sans moi, rien de tout cela n’aurait été possible ! Il y a 10 ans quand ils ne connaissaient pas le client ils me suppliaient de les aider. Et aujourd’hui ils ont complètement oublié mon rôle dans cette histoire et refusent de me rémunérer. C’est injuste ! »
Quelles sont les croyances derrière ce sentiment d’injustice ?
Si l’on écoute plus en profondeur ces deux positions, on s’aperçoit que souvent se cachent derrière des croyances opposées.
Première divergence possible : quelle valeur attribuer au démarrage de la relation ?
Prenons le dicton attribué à Lao Tseu « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » et faisons l’analogie entre « le voyage » et « la création de lien commercial ».
Les intermédiaires estiment souvent que le plus important c’est le 1er pas. Alors que les producteurs valorisent au contraire les 999 pas qui suivent !
Petit aparté : cette idée, et la métaphore qui l’accompagne, se retrouvent à la source de nombreux conflits. Pas seulement entre intermédiaires et producteurs, mais aussi, par exemple, vendeurs et administrateurs des vente : « ce qui compte c’est de trouver le client » versus « ce qui compte c’est de développer le client ».
Ou encore entre les créateurs de start-up et les fonds d’investissement : « le plus dure c’est d’avoir une idée et de créer l’entreprise ex-nihilo » versus « des bonnes idées, il y en a des milliers, le plus difficile c’est de les développer ».
Revenons au thème des intermédiaires : qui a raison ? quelle partie du voyage a le plus de valeur ? Certes sans l’énergie de l’intermédiaire (le 1er pas) rien ne se passe. Mais sans le travail du producteur (les 999 pas) rien ne dure.
Seconde divergence possible : quelle valeur attribuer au lien ?
Là encore, on relève parfois des croyances opposées :
- le producteur peut avoir tendance à plus valoriser ce que rapporte le lien en termes de vente. Quand l’agent lui rappelle qu’il est à l’origine du lien, le producteur peut ressentir de l’agacement et de l’injustice aussi.
La question se pose de savoir s’il s’agit d’une croyance ou d’une valeur ? En effet on touche là quelque chose de profond : l’attachement à la relation versus l’attachement au résultat.
Troisième divergence possible: comment définir l’indépendance ?
L’un des avantages pour une entreprise d’embaucher les services d’un intermédiaire réside dans l’indépendance : s’entourer de metteurs en marché sans avoir à payer les charges sociales de vendeurs employés. Même chose pour les intermédiaires : cela leur permet de travailler sans dépendre d’un employeur.
Mais comment définir cette indépendance concrètement ? N’est-elle pas utopique ? Dès lors qu’il y a création de lien, n’y-a-t-il pas une forme de dépendance ?
Si « indépendant » signifie pour l’un « je peux me passer de toi à tout moment, nous n’avons aucun lien » et pour l’autre « nous n’avons pas de lien contractuel employeur-employé mais cela n’empêche que nous sommes liés » alors la relation porte en elle les germes d’un conflit.
Pourquoi passer de « il est injuste » à « je m’ajuste à lui » permet de créer de la valeur ?
Le mot « juste » en français a donné « justice » mais aussi « justesse ». Et là, en l’occurrence, la nuance permet de sortir du côté binaire et de dépasser le conflit.
S’ajuster à l’autre consiste au double mouvement de : clarifier ses propres besoins + écouter ceux de son interlocuteur
- Pourquoi as-tu besoin de moi ? Pourquoi ai-je besoin de toi ?
- Comment vois-tu les choses ? Comment vois-tu ton rôle ? Comment je vois mon rôle ? Comment je vois ton rôle ?
- Quels sont nos engagements réciproques ? Qu’est-ce qui crée notre dépendance ?
- Qu’est-ce qui est important pour toi ? Qu’est ce qui est important pour moi ?
- De quoi as-tu besoin fondamentalement dans notre relation pour qu’elle soit positive ? De quoi ai-je besoin ?
- Qu’est-ce qui fait que nous considérions notre relation comme juste ? Ou injuste ?
- As-tu déjà eu des conflits avec des partenaires comme moi ? Pourquoi ? Quel a été le problème ? Comment faire pour l’éviter ?
- Peux-tu me donner des exemples de partenariats réussis ? Que faut-il en retenir et appliquer à notre cas ?
Souvent lors de cette discussion, les parties comprennent que l’autre ne voit pas les choses de la même manière. L’avantage étant, bien sûr, de s’en apercevoir avant de démarrer la relation et de construire un duo au lieu de s’en apercevoir trop tard, ce qui conduit au duel.
Un tel dialogue pourra permettre de se mettre d’accord sur les paramètres classiques de la relation :
§ Définition du rôle et de la valeur ajoutée
§ Définition des objectifs
§ Taux de commission
§ Temporalité de la commission
§ Propriété du client
§ Exclusivité de la relation…
Vers plus d’interdépendance positive ?
Au-delà de mettre en avant les bienfaits de ce que nous appelons la médiation de projet, je souhaite aussi lancer une réflexion sur l’importance pour les entreprises de développer un réel savoir-faire de gestions des liens externalisés.
En effet, le marché de l’emploi évolue rapidement vers probablement de moins en moins d’emplois et de plus en plus de relations de free-lances. La création de liens avec ces indépendants va représenter une source de valeur non négligeable en même temps qu’elle va représenter une expertise précieuse.
Mais pour ce faire, il me semble intéressant de sortir du côté binaire : « nous sommes indépendants, nous ne nous devons rien » versus « nous sommes dépendants, nous sommes condamnés à nous supporter » et de poser les bases d’une interdépendance positive : « nous définissions notre dépendance, et à l’intérieur de ce cadre-là, nous sommes indépendants ».
Eric Daubricourt
PS: sur le sujet de l'interdépendance, je vous recommande le livre de Rebecca Shankland et Christophe André:

Hello world!
